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Chroniques
Faust
opéra de Philippe Fénelon
Après Segalen, Goethe, Kafka, Cervantès, Cortázar, Flaubert, Shakespeare ou encore Rilke (entre autres), c’est sur l’œuvre de Nikolaus Lenau que Philippe Fénelon s’est penché, achevant il y a trois ans ce Faust en deux actes (chanté en langue allemande) que créée aujourd’hui le Théâtre du Capitole. La richesse du matériau offert par le vaste poème originel rencontre le foisonnement d’une culture toujours curieuse, qui semble ne jamais tenir quoi que ce soit pour définitivement dit, et s’en approprie le stimulus en inventant une nouvelle figure, un Homme (qui deviendra Görg en fin de représentation), à la fois porteur d’un certain regard sur les errements et précipitations du héros et passeur, par contraste, des monstruosités ambiantes. Constante de l’écriture de Fénelon, on retrouve un traitement vocal volontiers musclé qui s’inscrit dans une certaine tradition dix-neuviémiste du chant français, et une texture d’orchestre assez épaisse.
Cette première est servie par un plateau efficace et dévoué où, parmi une dizaine de rôles secondaires, l’on remarque Fenna Ograjensek (Lischen) et Michael Nelle (Michel). Tour à tour Femme du forgeron et Princesse, Alexandra Coku affirme brièvement un soprano large, tandis que Karolina Anderson se joue agilement des redoutables acrobaties réservées par le compositeur à Annette. Enfin, trois hommes retiennent l’écoute : le Faust d’Arnold Bezuyen (ténor) dont le timbre clair sera toutefois mis à mal par une sollicitation redondante de l’aigu, Gilles Ragon – l’Homme et troublant Görg qui oppose une saine conscience de l’ici et maintenant aux folies faustiennes –, ténor qui offre une prestation vaillante et colorée, enfin le baryton Robert Bork, Méphistophélès idéal qui trouve à nuancer une partie peut-être moins calcifiée dans un recours systématique au forte (certains passages plus légers en fosse autorisent ces élégances).
L’univers et le style du Faust de Lenau ne sont pas des plus sveltes ; aussi leur absorption par Fénelon use-t-elle d’effets, d’accumulations, de citations, dont la dérision n’est pas absente. Etait-il nécessaire de surenchérir ? Car c’est bien ce que fait la mise en scène de Pet Halmen, appuyant chaque évocation par sa transposition dans un monde personnel déjà croisé ici et là, un monde fermé sur lui-même dont le personnage central – soit Halmen en personne – ne parvient pas même à transmettre les dilemmes, émois et expériences. Fatras de calvaires, de flammes, de crânes, de sang, de dépouilles et d’anges, cette éprouvante lecture en culotte de peau a simplement oublié de regarder la partition.
Au pupitre, Bernhard Kontarsky, soulignant le lyrisme de l’écriture des cordes, conduit un Orchestre national du Capitole efficace, dans une interprétation traversée de bout en bout par une copieuse épaisseur, tendance naturelle d’un chef si peu soucieux des subtilités qu’on lui livre et de l’équilibre général qu’il laisse – sans qu’on y voit un génial indice du suicide final – la Grab envahir la Bühne. Enfin, comme à son habitude, le Chœur du Capitole intervient avec éclat et précision.
BB